Par Jorge Chaminé, président fondateur du CEM
Croisement entre poésie juive et persane à l’écoute du monde blessé
Par-delà les bombes, les murs, les censures et les slogans, une musique persiste. Elle ne vient ni du pouvoir ni des armes. Elle vient du cœur profond des peuples, de leurs poètes, de leurs femmes, de leurs chants.
Aujourd’hui, le monde tremble sous les coups d’une actualité mortifère. Des peuples sont bombardés, réprimés, exilés. Des enfants meurent sans sépulture, des femmes marchent bâillonnées. Et pendant que les dirigeants se murent dans la certitude de leurs dogmes, ce sont les peuples qui paient le prix du silence et de la surdité.
Mais il est un lieu que les missiles ne peuvent atteindre : le cœur vibrant des traditions poétiques et musicales – notamment celles de l’Iran et du peuple juif, deux peuples frères en mémoire et en profondeur, deux peuples qui, depuis des siècles, chantent dans l’ombre et la lumière.
Le peuple juif, dans ses Psaumes, ses lamentations, ses chants séfarades ou hassidiques, a appris à faire de la douleur un souffle d’espérance. Le peuple persan, à travers Ḥāfiẓ, Rûmî, Saadi ou Khayyâm, a transformé l’ivresse de l’injustice en ivresse divine.
Et tous deux, malgré les siècles de séparation, se retrouvent dans une même note mineure, celle d’un chant mystique, oùl’amour se dit dans le murmure, et où l’écoute devient un acte de vérité.
Aujourd’hui, face aux tyrannies, aux fanatismes, aux manipulations de la foi, la parole poétique est un contre-pouvoir sans violence, une lame de lumière.
Quand Rûmî écrit : « Viens, viens, qui que tu sois… » il ne parle pas à une confession. Il parle à l’humain.
Quand Yehuda Halevi murmure : « Mon cœur est en Orient… », il n’invoque pas une terre, mais une vibration intérieure.
La musique sacrée, qu’elle soit celle du ney soufi ou du violon juif, n’est pas folklore : elle est langue de survie, résistance de l’âme, éthique de l’écoute.
Dans un monde où les slogans remplacent la pensée, où la haine est produite en masse et la compassion censurée, la poésie rappelle que les peuples ne sont pas leurs régimes.
L’Iran n’est pas son régime théocratique. Israël n’est pas sa politique gouvernementale. Gaza n’est pas son Hamas.
Un peuple est ce que ses mères chantent à leurs enfants.
Ce que ses poètes osent écrire en prison. Ce que ses exilés murmurent dans les ruelles de Berlin, Paris, Toronto ou Buenos Aires.
Ce n’est pas la force qui résoudra les conflits. Ce n’est pas le cri, mais l’écoute. Ce n’est pas la vengeance, mais la connaissance. Et ce n’est pas l’oubli, mais la mémoire poétique – celle qui tisse les fils d’une fraternité plus ancienne que les nations.
Quand une femme iranienne marche cheveux au vent, quand un paysan juif chante l’Aleph dans la poussière, quand un oud dialogue avec un violon, le monde, un instant, devient plus juste.
À ceux qui disent que tout est perdu, que les peuples sont condamnés à la guerre, nous répondons avec Hafez :
« Même si le jardin est ravagé, la rose sait renaître. »
Et avec le Zohar et le Masnavi :
« Là où les mots échouent, la musique commence. »
Il est temps de rouvrir les oreilles, de faire taire les tambours de guerre, et d’écouter ce que disent les peuples quand on leur rend leur chant.