20 août 2023
En mettant en lumière l’histoire de Manuel García fils (1805-1906), le Centre Européen de Musique rend hommage à un artiste polymathe, pédagogue, chanteur, scientifique et chercheur, membre d’une saga familiale unique en son genre : la dynastie García. L’invention du laryngoscope par Manuel García fils en 1854 n’est pas le fruit du hasard, et l’acquisition par le Centre Européen de Musique de cette relique d’une valeur inestimable constitue un symbole fort incarnant pleinement les missions que le CEM s’est attribué au XXIe siècle : bâtir des ponts entre le présent et le passé ; unifier les arts, les sciences et les humanités. Après un premier épisode consacré à la jeunesse de Manuel, découvrez le second épisode de notre série historique, écrite par Thomas Cousin, Doctorant en histoire et en musicologie à l’Université libre de Bruxelles/Sorbonne Université.
À son retour de Naples, Manuel García fils étudie l’astronomie et la navigation en vue de s’engager comme officier dans la marine marchande française. Il prend part à l’expédition d’Algérie et embarque à Toulon le 11 mai 1830, aux côtés de dizaines de milliers d’hommes. Il assiste au bombardement d’Alger et à sa capitulation. De retour à Paris, il vit coup sur coup les journées révolutionnaires de juillet, la chute du roi Charles X, puis l’avènement de la Monarchie de Juillet et de son roi Louis-Philippe d’Orléans. Engagé comme médecin militaire dans les hôpitaux de Paris, il se spécialise dans l’étude de l’anatomie et de la physiologie du larynx, déjà conscient du rapport existant entre la science et le développement de la voix. À la mort de son père, en 1832, Manuel García fils porte en lui un héritage musical immense qu’il entend faire perdurer tout en appliquant ses nouvelles connaissances scientifiques en médecine à l’art du chant. Nommé professeur de chant au Conservatoire de Paris en 1835, il entame une carrière de pédagogue qu’il ne quittera plus, trouvant dans la transmission de son art la vocation d’une vie.
Dans la préface de sa méthode de chant École de García, Traité complet de l’art du chant, publiée en 1840, Manuel García fils revendique les préceptes de son père : « C’est sa méthode que j’ai voulu reproduire, en essayant seulement de la ramener à une forme plus théorique, et de rattacher les résultats aux causes ». Cette méthode d’enseignement s’appuie sur une connaissance éclairée du fonctionnement de l’appareil vocal, décrit succinctement dans les premières pages de l’ouvrage. Le Traité comporte également d’importants passages du Mémoire sur la voix humaine que Manuel García soumet parallèlement à l’Académie des Sciences de Paris. Lors de la présentation du Mémoire, le 12 avril 1841, le maestro apparaît accompagné de chanteurs pour démontrer au jury ses hypothèses : la même note est alternativement chantée en poitrine et en fausset. Après plusieurs essais, le jury s’accorde sur le fait qu’à intensité égale, la note tenue en poitrine dure plus longtemps que la même note tenue en fausset : il s’agit bien de deux modes distincts d’émission de la voix. La définition des registres est ainsi nouvellement énoncée en ces termes par Manuel García :
Par le mot registre, nous entendons une série de sons consécutifs et homogènes allant du grave à l’aigu, produits par le développement du même principe mécanique, et dont la nature diffère essentiellement d’une autre série de sons également consécutifs et homogènes, produits par un autre principe mécanique. Tous les sons appartenant au même registre sont, par conséquent, de la même nature, quelles que soient d’ailleurs les modifications de timbre ou de force qu’on leur fasse subir.
La clairvoyance de Manuel García à une époque de grande confusion dans les connaissances de l’appareil vocal s’explique par son érudition de pédagogue-chanteur et de médecin-chercheur. Sa méthode provoque des critiques acerbes de la part de chanteurs comme le ténor Gilbert Duprez, qui fustige dans une métaphore peu flatteuse l’inutilité de l’aspect scientifique : « De même qu’un poète n’a pas besoin de connaitre la physiologie du cerveau pour faire des vers, de même il est inutile de savoir l’anatomie des organes vocaux pour chanter ». C’est pourtant grâce à cette méthode que Manuel García s’établit comme le maestro di bel canto des plus grandes voix de son temps, de ses sœurs Maria Malibran et Pauline Viardot à Henriette Nissen, Mathilde Marchesi, Catherine Hayes, Johanna Wagner, Julius Stockhausen et Romain Bussine.
Parmi ses disciples, une voix iconique se détache de toutes les autres : celle de Jenny Lind, dont le nom restera éternellement associé à celui de Manuel García. Après une dernière apparition à l’Opéra de Stockholm le 19 juin 1841, la voix du « rossignol suédois » s’est brisée, rudement mise à l’épreuve par des efforts excessifs et une mauvaise méthode de chant. Dès le 25 août, Jenny Lind débute ses leçons sous la direction de Manuel García qui la prend sous son aile, à raison de deux fois une heure par semaine, jusqu’en juillet de l’année suivante. Le 10 octobre 1842, la diva se produit de nouveau à Stockholm. Sa voix miraculée, le public suédois peut rendre un vibrant hommage au sauveur Manuel García, décoré par le Roi de Suède « Chevalier de l’Ordre du Mérite Gustavus Vasa ». En remerciements, Manuel García dédiera au Roi de Suède Oscar Ier, la version augmentée et rééditée en 1847 de son Traité complet de l’art du chant. La réputation du maestro dépasse désormais les frontières et Manuel García est nommé, en 1848, professeur de chant à la Royal Academy of Music de Londres.
20 août 2023
En mettant en lumière l’histoire de Manuel García fils (1805-1906), le Centre Européen de Musique rend hommage à un artiste polymathe, pédagogue, chanteur, scientifique et chercheur, membre d’une saga familiale unique en son genre : la dynastie García. L’invention du laryngoscope par Manuel García fils en 1854 n’est pas le fruit du hasard, et l’acquisition par le Centre Européen de Musique de cette relique d’une valeur inestimable constitue un symbole fort incarnant pleinement les missions que le CEM s’est attribué au XXIe siècle : bâtir des ponts entre le présent et le passé ; unifier les arts, les sciences et les humanités. Après un premier épisode consacré à la jeunesse de Manuel, découvrez le second épisode de notre série historique, écrite par Thomas Cousin, Doctorant en histoire et en musicologie à l’Université libre de Bruxelles/Sorbonne Université.
À son retour de Naples, Manuel García fils étudie l’astronomie et la navigation en vue de s’engager comme officier dans la marine marchande française. Il prend part à l’expédition d’Algérie et embarque à Toulon le 11 mai 1830, aux côtés de dizaines de milliers d’hommes. Il assiste au bombardement d’Alger et à sa capitulation. De retour à Paris, il vit coup sur coup les journées révolutionnaires de juillet, la chute du roi Charles X, puis l’avènement de la Monarchie de Juillet et de son roi Louis-Philippe d’Orléans. Engagé comme médecin militaire dans les hôpitaux de Paris, il se spécialise dans l’étude de l’anatomie et de la physiologie du larynx, déjà conscient du rapport existant entre la science et le développement de la voix. À la mort de son père, en 1832, Manuel García fils porte en lui un héritage musical immense qu’il entend faire perdurer tout en appliquant ses nouvelles connaissances scientifiques en médecine à l’art du chant. Nommé professeur de chant au Conservatoire de Paris en 1835, il entame une carrière de pédagogue qu’il ne quittera plus, trouvant dans la transmission de son art la vocation d’une vie.
Dans la préface de sa méthode de chant École de García, Traité complet de l’art du chant, publiée en 1840, Manuel García fils revendique les préceptes de son père : « C’est sa méthode que j’ai voulu reproduire, en essayant seulement de la ramener à une forme plus théorique, et de rattacher les résultats aux causes ». Cette méthode d’enseignement s’appuie sur une connaissance éclairée du fonctionnement de l’appareil vocal, décrit succinctement dans les premières pages de l’ouvrage. Le Traité comporte également d’importants passages du Mémoire sur la voix humaine que Manuel García soumet parallèlement à l’Académie des Sciences de Paris. Lors de la présentation du Mémoire, le 12 avril 1841, le maestro apparaît accompagné de chanteurs pour démontrer au jury ses hypothèses : la même note est alternativement chantée en poitrine et en fausset. Après plusieurs essais, le jury s’accorde sur le fait qu’à intensité égale, la note tenue en poitrine dure plus longtemps que la même note tenue en fausset : il s’agit bien de deux modes distincts d’émission de la voix. La définition des registres est ainsi nouvellement énoncée en ces termes par Manuel García :
Par le mot registre, nous entendons une série de sons consécutifs et homogènes allant du grave à l’aigu, produits par le développement du même principe mécanique, et dont la nature diffère essentiellement d’une autre série de sons également consécutifs et homogènes, produits par un autre principe mécanique. Tous les sons appartenant au même registre sont, par conséquent, de la même nature, quelles que soient d’ailleurs les modifications de timbre ou de force qu’on leur fasse subir.
La clairvoyance de Manuel García à une époque de grande confusion dans les connaissances de l’appareil vocal s’explique par son érudition de pédagogue-chanteur et de médecin-chercheur. Sa méthode provoque des critiques acerbes de la part de chanteurs comme le ténor Gilbert Duprez, qui fustige dans une métaphore peu flatteuse l’inutilité de l’aspect scientifique : « De même qu’un poète n’a pas besoin de connaitre la physiologie du cerveau pour faire des vers, de même il est inutile de savoir l’anatomie des organes vocaux pour chanter ». C’est pourtant grâce à cette méthode que Manuel García s’établit comme le maestro di bel canto des plus grandes voix de son temps, de ses sœurs Maria Malibran et Pauline Viardot à Henriette Nissen, Mathilde Marchesi, Catherine Hayes, Johanna Wagner, Julius Stockhausen et Romain Bussine.
Parmi ses disciples, une voix iconique se détache de toutes les autres : celle de Jenny Lind, dont le nom restera éternellement associé à celui de Manuel García. Après une dernière apparition à l’Opéra de Stockholm le 19 juin 1841, la voix du « rossignol suédois » s’est brisée, rudement mise à l’épreuve par des efforts excessifs et une mauvaise méthode de chant. Dès le 25 août, Jenny Lind débute ses leçons sous la direction de Manuel García qui la prend sous son aile, à raison de deux fois une heure par semaine, jusqu’en juillet de l’année suivante. Le 10 octobre 1842, la diva se produit de nouveau à Stockholm. Sa voix miraculée, le public suédois peut rendre un vibrant hommage au sauveur Manuel García, décoré par le Roi de Suède « Chevalier de l’Ordre du Mérite Gustavus Vasa ». En remerciements, Manuel García dédiera au Roi de Suède Oscar Ier, la version augmentée et rééditée en 1847 de son Traité complet de l’art du chant. La réputation du maestro dépasse désormais les frontières et Manuel García est nommé, en 1848, professeur de chant à la Royal Academy of Music de Londres.