25 août 2023
En mettant en lumière l’histoire de Manuel García fils (1805-1906), le Centre Européen de Musique rend hommage à un artiste polymathe, pédagogue, chanteur, scientifique et chercheur, membre d’une saga familiale unique en son genre : la dynastie García. L’invention du laryngoscope par Manuel García fils en 1854 n’est pas le fruit du hasard, et l’acquisition par le Centre Européen de Musique de cette relique d’une valeur inestimable constitue un symbole fort incarnant pleinement les missions que le CEM s’est attribué au XXIe siècle : bâtir des ponts entre le présent et le passé ; unifier les arts, les sciences et les humanités. Après un second épisode consacré au pédagogue Manuel García fils, découvrez le troisième de notre série historique, écrite par Thomas Cousin, Doctorant en histoire et en musicologie à l’Université libre de Bruxelles/Sorbonne Université.
Lorsqu’il s’installe en Angleterre, Manuel García est un maître réputé dont la méthode scientifique attire de nombreux élèves. Son enseignement se borne toutefois à des connaissances théoriques, faute de pouvoir observer le larynx en action. C’est chose faite lorsqu’en 1854, il devient le premier à tirer parti d’un miroir de dentiste pour « décrire les observations faites à l’intérieur du larynx pendant l’acte du chant », observant sur lui-même l’aspect de la glotte dans les deux registres de poitrine et de fausset. Manuel García vient d’inventer un instrument révolutionnaire pour le chant et la médecine. Le pédagogue ouvre la voie à un nouveau domaine de recherche scientifique : la laryngologie.
Le laryngoscope inventé par Manuel García fils est l'une des pièces maitresses de la Memorabilia García acquise par le CEM.
À la fin des années 1850, le neurologue Ludwig Türck et le physiologiste Johann N. Czermak sont parmi les premiers scientifiques à comprendre la portée révolutionnaire de l’instrument inédit de Manuel García, et vont utiliser pour la première fois le laryngoscope comme outil médical. Si le Dr. Czermak écrit, en 1858, que Manuel García « paraît avoir été le premier qui ait réussi à rendre accessibles à l’observation les parties intérieures de l’organe vocal dans l’homme vivant », il est intéressant de souligner que le milieu scientifique de l’époque tente d’attribuer la paternité de cette invention à l’un de ses pairs, minimisant voire oblitérant le nom de García. Ces soubresauts ont, paradoxalement, favorisé la consécration ultérieure de Manuel García qui, dans la lettre reproduite ci-dessous adressée au Dr. Larray, en date du 4 mai 1860, raconte les circonstances de sa découverte :
L’idée de me servir de miroirs pour étudier l’intérieur du larynx, pendant l’acte du chant, m’était venue depuis longtemps et à différentes époques ; mais toujours je l’avais repoussée, la croyant impraticable. Ce ne fut qu’en 1854 que, me trouvant en vacances à Paris, pendant le mois de septembre, je résolus d’éclaircir mes doutes et de voir ce que mon idée avait de réalisable. J’allais demander à Charrière s’il n’aurait pas un petit miroir qui, attaché à un long manche, pût servir à examiner le gosier. Il me répondit qu’il avait un petit miroir de dentiste, qu’il avait envoyé à l’exposition de Londres en 1851 et dont personne n’avait voulu. Je l’achetais (je crois pour 6 francs) et, muni d’un second miroir à main, je rentrais chez ma sœur très impatient de commencer mes essais. Je plaçais contre la luette le petit miroir à main, je vis le larynx béant et tel qu’il est décrit dans les trois premières pages du mémoire que vous connaissez. Bientôt après mon retour à Londres, les brouillards vinrent mettre un obstacle désespérant à mes études. Je m’adressais alors à M. Williamson, professeur de chimie à l’Université de Londres, pour qu’il me fît connaître une lumière artificielle, vive et abondante, ma lampe à huile ne donnant qu’une lumière très insuffisante. Il m’indiqua celle que fournit la chaux en combustion dans le mélange connu d’oxygène et d’hydrogène. Malheureusement mes appareils étaient très imparfaits et mes tentatives échouèrent. La lumière électrique ne me réussit pas mieux. Je fus donc réduit à ne me servir de mes qu’aux apparitions assez rares du soleil. Comme le but principal de mes recherches était de déterminer le rôle que chaque muscle intrinsèque du larynx joue dans le mécanisme de la voix, je dus me remettre à disséquer. C’est à M. Williamson que j’eus encore recours pour obtenir des larynx. Il me présenta au Dr Sharpey, professeur de physiologie à la même université et secrétaire de la Société royale. Dès que le Dr Sharpey eut appris de quoi je m’occupais, il donna ordre au garçon d’amphithéâtre de me fournir autant de larynx que j‘en demanderais. Il me conseilla en outre d’écrire un mémoire sur ce que j’aurais observé, s’offrant à le lire à la R. S. dès qu’il serait terminé.
Le 22 mars 1855, Manuel García soumet son Mémoire Observations physiologiques sur la voix humaine à la Royal Society of London. Le 24 mai suivant, le Mémoire est présenté par le Docteur Sharpey et enregistré dans les Proceedings of the Royal Society. Le Mémoire commence par ces mots :
Les pages qui vont suivre ont pour objet de décrire les observations faites à l’intérieur du larynx pendant l’acte du chant. La méthode dont je me suis servi n’a, si je ne me trompe, été tentée par personne. Elle consiste à placer un petit miroir, fixé à un long manche convenablement recourbé, au sommet du pharynx d’un sujet. Celui-ci doit se tourner vers le soleil, de façon que les rayons lumineux, tombant sur le petit miroir, puissent être reflétés sur le larynx. Aux observations que l’image réfléchir par le miroir nous aura fournies, nous ajouterons nos propres déductions.
En 1862, l’Université de Königsberg confère à Manuel García le titre honorifique de docteur en médecine. Le Dr. García est invité à la septième session de l’International Medical Congress à Londres, en 1881, pour présenter ses travaux sur le larynx et l’appareil vocal. Enfin pleinement reconnu par la communauté scientifique, le maestro di bel canto est désormais surnommé le « Père » du laryngoscope.
25 août 2023
En mettant en lumière l’histoire de Manuel García fils (1805-1906), le Centre Européen de Musique rend hommage à un artiste polymathe, pédagogue, chanteur, scientifique et chercheur, membre d’une saga familiale unique en son genre : la dynastie García. L’invention du laryngoscope par Manuel García fils en 1854 n’est pas le fruit du hasard, et l’acquisition par le Centre Européen de Musique de cette relique d’une valeur inestimable constitue un symbole fort incarnant pleinement les missions que le CEM s’est attribué au XXIe siècle : bâtir des ponts entre le présent et le passé ; unifier les arts, les sciences et les humanités. Après un second épisode consacré au pédagogue Manuel García fils, découvrez le troisième de notre série historique, écrite par Thomas Cousin, Doctorant en histoire et en musicologie à l’Université libre de Bruxelles/Sorbonne Université.
Lorsqu’il s’installe en Angleterre, Manuel García est un maître réputé dont la méthode scientifique attire de nombreux élèves. Son enseignement se borne toutefois à des connaissances théoriques, faute de pouvoir observer le larynx en action. C’est chose faite lorsqu’en 1854, il devient le premier à tirer parti d’un miroir de dentiste pour « décrire les observations faites à l’intérieur du larynx pendant l’acte du chant », observant sur lui-même l’aspect de la glotte dans les deux registres de poitrine et de fausset. Manuel García vient d’inventer un instrument révolutionnaire pour le chant et la médecine. Le pédagogue ouvre la voie à un nouveau domaine de recherche scientifique : la laryngologie.
Le laryngoscope inventé par Manuel García fils est l'une des pièces maitresses de la Memorabilia García acquise par le CEM.
À la fin des années 1850, le neurologue Ludwig Türck et le physiologiste Johann N. Czermak sont parmi les premiers scientifiques à comprendre la portée révolutionnaire de l’instrument inédit de Manuel García, et vont utiliser pour la première fois le laryngoscope comme outil médical. Si le Dr. Czermak écrit, en 1858, que Manuel García « paraît avoir été le premier qui ait réussi à rendre accessibles à l’observation les parties intérieures de l’organe vocal dans l’homme vivant », il est intéressant de souligner que le milieu scientifique de l’époque tente d’attribuer la paternité de cette invention à l’un de ses pairs, minimisant voire oblitérant le nom de García. Ces soubresauts ont, paradoxalement, favorisé la consécration ultérieure de Manuel García qui, dans la lettre reproduite ci-dessous adressée au Dr. Larray, en date du 4 mai 1860, raconte les circonstances de sa découverte :
L’idée de me servir de miroirs pour étudier l’intérieur du larynx, pendant l’acte du chant, m’était venue depuis longtemps et à différentes époques ; mais toujours je l’avais repoussée, la croyant impraticable. Ce ne fut qu’en 1854 que, me trouvant en vacances à Paris, pendant le mois de septembre, je résolus d’éclaircir mes doutes et de voir ce que mon idée avait de réalisable. J’allais demander à Charrière s’il n’aurait pas un petit miroir qui, attaché à un long manche, pût servir à examiner le gosier. Il me répondit qu’il avait un petit miroir de dentiste, qu’il avait envoyé à l’exposition de Londres en 1851 et dont personne n’avait voulu. Je l’achetais (je crois pour 6 francs) et, muni d’un second miroir à main, je rentrais chez ma sœur très impatient de commencer mes essais. Je plaçais contre la luette le petit miroir à main, je vis le larynx béant et tel qu’il est décrit dans les trois premières pages du mémoire que vous connaissez. Bientôt après mon retour à Londres, les brouillards vinrent mettre un obstacle désespérant à mes études. Je m’adressais alors à M. Williamson, professeur de chimie à l’Université de Londres, pour qu’il me fît connaître une lumière artificielle, vive et abondante, ma lampe à huile ne donnant qu’une lumière très insuffisante. Il m’indiqua celle que fournit la chaux en combustion dans le mélange connu d’oxygène et d’hydrogène. Malheureusement mes appareils étaient très imparfaits et mes tentatives échouèrent. La lumière électrique ne me réussit pas mieux. Je fus donc réduit à ne me servir de mes qu’aux apparitions assez rares du soleil. Comme le but principal de mes recherches était de déterminer le rôle que chaque muscle intrinsèque du larynx joue dans le mécanisme de la voix, je dus me remettre à disséquer. C’est à M. Williamson que j’eus encore recours pour obtenir des larynx. Il me présenta au Dr Sharpey, professeur de physiologie à la même université et secrétaire de la Société royale. Dès que le Dr Sharpey eut appris de quoi je m’occupais, il donna ordre au garçon d’amphithéâtre de me fournir autant de larynx que j‘en demanderais. Il me conseilla en outre d’écrire un mémoire sur ce que j’aurais observé, s’offrant à le lire à la R. S. dès qu’il serait terminé.
Le 22 mars 1855, Manuel García soumet son Mémoire Observations physiologiques sur la voix humaine à la Royal Society of London. Le 24 mai suivant, le Mémoire est présenté par le Docteur Sharpey et enregistré dans les Proceedings of the Royal Society. Le Mémoire commence par ces mots :
Les pages qui vont suivre ont pour objet de décrire les observations faites à l’intérieur du larynx pendant l’acte du chant. La méthode dont je me suis servi n’a, si je ne me trompe, été tentée par personne. Elle consiste à placer un petit miroir, fixé à un long manche convenablement recourbé, au sommet du pharynx d’un sujet. Celui-ci doit se tourner vers le soleil, de façon que les rayons lumineux, tombant sur le petit miroir, puissent être reflétés sur le larynx. Aux observations que l’image réfléchir par le miroir nous aura fournies, nous ajouterons nos propres déductions.
En 1862, l’Université de Königsberg confère à Manuel García le titre honorifique de docteur en médecine. Le Dr. García est invité à la septième session de l’International Medical Congress à Londres, en 1881, pour présenter ses travaux sur le larynx et l’appareil vocal. Enfin pleinement reconnu par la communauté scientifique, le maestro di bel canto est désormais surnommé le « Père » du laryngoscope.