
I. PRÉLUDE
À certains moments de l’histoire, l’esprit de l’Europe ne s’exprime ni par des proclamations, ni par la force, mais par l’harmonie — par cette voix ineffable qu’est la musique, capable de transcender les divisions et d’atteindre ce que la politique, seule, ne saurait toucher : l’âme et le cœur des femmes et des hommes.
C’est avec cette conviction, mûrie au fil d’années d’explorations transdisciplinaires et de dialogues collectifs, que nous avons l’honneur de publier ce Manifeste Européen. Il constitue un appel à la conscience, une vision stratégique, un chemin commun — façonné avec la sagesse de chercheurs, d’artistes, d’éducateurs et de soignants venus des quatre coins de notre continent.
Le monde auquel nous appartenons, et que nous aspirons à transformer, exige que la musique ne soit plus traitée comme un simple ornement ou divertissement.
La musique n’est pas un fond sonore, elle est une colonne vertébrale !
La musique est émotion, mémoire, résistance et guérison. Elle est à la fois science et sacré, politique et poésie. Et en ces temps de fragilité écologique, de fatigue démocratique et de fragmentation sociale, la musique pourrait bien incarner cette force affective et effective, si nécessaire, pour retisser et revivifier le tissu de notre identité européenne.
Le Centre Européen de Musique (CEM), né précisément de cette conviction, œuvre depuis des années à démontrer comment la musique peut devenir un levier puissant dans les domaines de l’éducation, de la diplomatie, de la santé, de la sensibilisation climatique et de la cohésion culturelle. Avec nos partenaires — et en particulier Europa Nostra —, ainsi qu’avec le soutien essentiel du European Heritage Hub, ce Manifeste a été conçu à l’occasion de la conférence « Music Now! Musica Nostra! », organisée conjointement par le CEM et Europa Nostra dans le cadre du European Heritage Hub, le 30 avril à Mafra, au Portugal.
Ce Manifeste s’inscrit également dans la dynamique portée par une lettre adressée le 11 décembre 2024 au nouveau Commissaire européen en charge notamment de la Culture, M. Glenn Micallef, par une large coalition de plus de 50 organisations actives dans le domaine musical, en Europe et à l’international.
Il s’appuie aussi sur l’élan positif impulsé par la plateforme MERITA. Enfin, ce texte adhère pleinement et reflète les messages clés du Manifeste 2025 récemment publié par Prometheus 21, la Fédération des Ensembles et Artistes Indépendants de Musique Ancienne en Europe, présidée par le Maestro Jordi Savall.
Dans la lignée de nos grands prédécesseurs humanistes — d’Érasme à Stefan Zweig, de Maria Montessori à Yehudi Menuhin —, il est temps d’oser une pensée intégrale.
La musique n’est pas marginale ; elle est magnétique.
Elle ne sépare pas ; elle synchronise.
Elle est à la fois l’héritage de notre passé et l’horizon de notre avenir.
Nous sommes convaincus que la vision et les messages clés de ce Manifeste Européen trouveront naturellement leur place dans le futur Culture Compass de l’Union européenne.
Œuvrons ensemble pour que la musique ne résonne pas uniquement dans les salles de concert, mais aussi dans les cadres politiques, dans les salles de classe, dans les centres de soins — au cœur de la société, et au cœur d’une Europe en quête d’unité et de paix.
Avec des initiatives telles que le Centre Européen de Musique (CEM), projet holistique entièrement dédié à l’exploration, à l’activation et à l’amplification de toutes les dimensions de la musique — non pas dans l’isolement, mais dans une véritable communion transdisciplinaire — les silos se dissolvent, les disciplines convergent, les impacts se démultiplient.
Voici un appel collectif à l’action, composé et chanté par de nombreuses voix encore trop peu entendues.
C’est un appel ouvert à toutes les institutions, organisations et actrices/acteurs du monde musical — des conservatoires nationaux aux chorales citoyennes, des orchestres aux créateurs indépendants, des pédagogues aux musicothérapeutes — pour unir nos voix et nos forces autour d’une vision commune : placer la Musique au cœur du projet européen.
Que ce Manifeste soit véritablement œcuménique, un Manifeste qui ne soit pas la propriété de quelques-uns, mais un bien partagé ; non sectoriel, mais structurel ; non exclusif, mais profondément inclusif.
Jorge Chaminé
Fondateur et Président du Centre Européen de la Musique
Membre du Conseil d’Europa Nostra
II. OUVERTURE
La musique est l’une des plus nobles expressions de l’âme et de l’esprit européens.
Elle incarne et transmet la mémoire, l’identité, la renaissance et la résistance.
Elle résonne dans les cathédrales comme dans les cafés, sur les places des villes comme dans les fêtes de villages, lors des célébrations comme dans le silence.
Elle est partout.
L’Europe s’est toujours enrichie du travail de ses innombrables compositeurs, interprètes, pédagogues, auditeurs et passionnés.
La musique nous aide à (re)découvrir l’âme, les racines et la mémoire de l’Europe.
Elle nous inspire aussi à réimaginer, ensemble et avec les jeunes générations, son présent et son avenir, sur la base d’un patrimoine culturel commun aussi riche que profondément partagé.
Ce Manifeste européen appelle à une reconnaissance à sa juste valeur de la musique : en tant que ressource stratégique pour la société, la démocratie et la paix en Europe.
Aujourd’hui, alors que l’Europe et ses citoyens affrontent des crises multiples et interconnectées — environnementales, sociales, culturelles, numériques et géopolitiques — nous avons un besoin urgent d’inspiration nouvelle, d’énergies, d’outils et d’alliances.
La musique les offre tous.
Le Culture Compass, actuellement co-construit par la Commission européenne en dialogue étroit avec les acteurs culturels, représente une opportunité unique. Mentionnons à titre d’exemple quelques domaines dans lesquels la musique a déjà démontré ses effets bénéfiques :
● En éducation, la musique stimule la littératie, l’empathie et le développement cognitif ;
● Dans la culture numérique, elle inspire l’innovation et la narration éthique ;
● En santé, elle traite les traumatismes, soutient la neuro-réhabilitation et favorise le bien-être mental ;
● En diplomatie, elle cultive le respect mutuel, la compréhension et la construction de la paix ;
● En zones de conflit, elle encourage l’harmonie et le dialogue, contribuant ainsi à briser le cycle de la violence.
Comme ces exemples le montrent, la musique n’est pas périphérique : elle est centrale à la qualité de vie des citoyens et de leurs communautés.
Elle ne saurait donc être considérée comme un luxe, mais bien comme un besoin fondamental de chaque être humain.
Par son essence même, la musique entre en résonance avec chacun des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’Agenda 2030 des Nations Unies, ce qui en fait un levier incontournable pour affronter les défis d’aujourd’hui et de demain.
III. L’APPEL
Nous plaidons pour une Europe dans laquelle :
● La musique renforce l’inclusion sociale (par exemple à travers des chorales accueillant des personnes migrantes et créant des ponts entre les générations) ;
● La musique est intégrée à l’éducation, de la petite enfance à l’apprentissage tout au long de la vie ;
● La musique éveille à l’écologie (par exemple grâce à des paysages sonores rendant perceptibles les transformations de l’environnement) ;
● La musique incarne la démocratie et la liberté (par exemple via des performances dans l’espace public contesté) ;
● La musique stimule la créativité et l’innovation (par exemple via des compositions créées avec des outils d’IA éthiques) ;
● La musique soutient la santé publique (par exemple avec des concerts dans les hôpitaux ou des thérapies rythmiques) ;
● La musique relie les spiritualités et les pensées (par exemple grâce à des programmes de concerts partagés entre traditions religieuses).
Cette vision est déjà incarnée sur le terrain par des musicien·ne·s, des organisations de la société civile (associations et fondations), des réseaux, et certaines autorités publiques.
Mais cet engagement doit désormais être amplifié grâce au soutien et au leadership essentiels des institutions de l’Union européenne.
Nous appelons donc à :
Reconnaître la musique comme une priorité au sein des politiques culturelles et des actions de l’Union européenne ;
Intégrer pleinement la musique dans le futur Culture Compass et dans les cadres stratégiques associés ;
Répondre aux défis urgents auxquels les musicien·ne·s sont confronté·e·s aujourd’hui, tels que la rémunération équitable, la mobilité, la régulation de l’IA et la durabilité ;
Allouer un financement adéquat à la musique à travers les programmes existants (par exemple Europe Créative, Erasmus+, Horizon Europe, FSE+, FEDER) et dans le prochain Cadre Financier Pluriannuel ;
Renforcer les structures existantes et/ou créer de nouvelles plateformes pour la coopération, la recherche et la mobilité européennes dans le domaine musical.
IV. CODA
Ce Manifeste s’achève par un hommage.
Un hommage fraternel et vibrant à celles et ceux qui ont incarné, avec une rare intensité, la conviction que la Musique est bien plus qu’un art de loisir : elle est une nécessité intérieure, une exigence de l’être, un chemin de transformation.
Ils nous ont quittés, mais leur présence demeure, immense, tutélaire, dans les fondations mêmes du Centre Européen de Musique. Nous tenons à rappeler ici la mémoire de :
Claudio Abbado, porteur d’un esprit éthique et poétique, pour qui l’orchestre représentait un modèle de société.
Teresa Berganza, notre vice-présidente fondatrice, qui alliait à la noblesse de son chant la passion de son cœur.
Marie-Françoise Bucquet, dont le piano sondait les profondeurs de l’âme sans jamais perdre de vue l’horizon de lumière.
Aldo Ciccolini, alchimiste du son, pour qui chaque note était un acte d’amour.
Yehudi Menuhin, conscience fraternelle de la musique comme pont entre les peuples et les douleurs du siècle.
Mstislav Rostropovitch, combattant de la liberté, dont le violoncelle était un cri de l’âme et un hymne à la dignité humaine.
Et plus récemment, nous avons dû faire nos adieux à Alfred Brendel, immense poète du clavier et de la pensée, précieux membre du Comité d’Honneur du CEM, dont l’ironie tendre et l’intelligence musicale unique continueront à nourrir notre ambition collective.
Ils ne sont plus physiquement parmi nous. Mais ils habitent encore et toujours notre vision. Ils nous accompagnent à chaque pas.
Car ils ont vécu — et fait vivre — une Musique qui ne se contente pas d’être belle, mais qui aspire à faire le bien.
Une Musique qui interroge, relie, élève.
Une Musique qui soigne, résiste et éclaire.
C’est aussi en leur nom que nous faisons entendre nos voix pour résonner et amplifier CET APPEL VITAL POUR MUSIC NOW. MUSICA NOSTRA.
V. ANNEXE
À l’appui de notre Appel, voici quelques exemples d’actions concrètes souhaitables à différents niveaux de gouvernance :
Célébrer le patrimoine culturel de l’Europe
● Connecter et partager l’héritage musical européen, tant matériel qu’immatériel
Exemple : Utiliser le Réseau des Maisons et Musées de Musiciens Européens comme partenaire pour la valorisation du patrimoine culturel à travers la plateforme MERITA
Disciplines : Musicologie, conservation du patrimoine, gestion culturelle, recherche, interprétation, communication
Diversité et inclusion
● Soutenir tous les genres, toutes les communautés, langues et traditions
Exemple : Music4Rom (projet financé par l’UE, porté par la Fondation Internationale Yehudi Menuhin), mettant en lumière l’héritage rom dans les racines de la musique classique européenne
Disciplines : Ethnomusicologie, anthropologie, justice sociale
Liberté et démocratie
● Défendre la liberté artistique et le pluralisme médiatique
Exemple : Artistes ukrainiens utilisant la musique comme outil de résistance pacifique
Disciplines : Droit, journalisme, politiques internationales
Éducation pour toutes et tous
● Intégrer la musique dans les programmes à tous les stades de l’éducation
Exemple : Apprentissage musical transnational via les outils Erasmus+
Disciplines : Pédagogie, technologies éducatives, ingénierie des curricula
Santé et bien-être
● Intégrer la musique dans les plans nationaux de santé
Exemple : Musicothérapie pour les patient·es atteint·es de Parkinson ou de troubles de la mémoire
Disciplines : Neurosciences, psychologie, gériatrie
Justice sociale pour les travailleur·ses de la musique
● Garantir des salaires équitables et la mobilité des musicien·nes
Exemple : Cadre européen pour les droits sociaux des musicien·nes et projet MERITA sur la mobilité artistique, le développement de carrière et la reconnaissance d’une rémunération juste
Disciplines : Droit du travail, économie culturelle
Mobilité et accès
● Développer une infrastructure culturelle de transport
Exemple : Circuits de tournées dans les zones moins desservies
Disciplines : Développement régional, logistique
Justice numérique
● Assurer la visibilité en ligne de la diversité musicale européenne
● Réguler l’IA en tenant compte des droits des créateurs
Exemple : Mise en place de quotas pour la musique en langues minoritaires
Disciplines : Éthique du numérique, droit d’auteur
Transition écologique
● Encourager les festivals, salles de concert et producteurs à adopter des pratiques éco-responsables
Exemple : Modèles de tournées à empreinte carbone neutre (ex. : MERITA CO2 Calculator — une application permettant aux organisateurs d’événements de mesurer et réduire leur impact environnemental)
Disciplines : Événementiel durable, éco-conception
Données et politiques publiques
● Créer un Observatoire Européen de la Musique
Exemple : Utilisation des données de streaming musical pour éclairer les politiques de santé publique et de jeunesse
Disciplines : Données culturelles, innovation politique
Le Manifeste complet est disponible sur le site du European Heritage Hub et peut être téléchargé en pièce jointe pour consultation ultérieure.